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pareille un grand Héron s’étoit perché. On me descendit de dessus l’Autruche noire, et quantité de Cormorans m’élevèrent où les quatre Hérons m’attendoient. Ces Oiseaux vis-à-vis l’un de l’autre appuyés fermement chacun sur son arbre, avec leur cou de longueur prodigieuse, m’entortillèrent comme avec une corde, les uns par les bras, les autres par les jambes, et me lièrent si serré, qu’encore que chacun de mes membres ne fût garrotté que du cou d’un seul, il n’étoit pas en ma puissance de me remuer le moins du monde.

Ils devoient demeurer longtemps en cette posture ; car j’entendis qu’on donna charge à ces Cormorans qui m’avoient élevé, d’aller à la pêche pour les Hérons, et de leur couler la mangeaille dans le bec.

On attendoit encore les Mouches, à cause qu’elles n’avoient pas fendu l’air d’un vol si puissant que nous : toutefois on ne resta guère sans les ouïr.

Pour la première chose qu’ils exploitèrent d’abord, ils s’entre-départirent mon corps, et cette distribution fut faite si malicieusement, qu’on assigna mes yeux aux abeilles, afin de me les crever en me les mangeant ; mes oreilles, aux bourdons, afin de me les étourdir et me les dévorer tout ensemble ; mes épaules, aux puces, afin de les entamer d’une morsure qui me démangeât, et ainsi du reste. À peine leur avois-je entendu disposer de leurs ordres, qu’incontinent après je les vis approcher. Il sembloit que tous les atomes dont l’air est composé, se fussent convertis en Mouches ; car je n’étois presque pas visité de deux ou trois foibles rayons de lumière qui sembloient se dérober pour venir jusqu’à moi, tant ces bataillons étoient serrés et voisins de ma chair.

Mais comme chacun d’entre eux choisissoit déjà du désir la place qu’il devoit mordre, tout à coup je les vis brusquement reculer, et parmi la confusion d’un nombre