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jour que tu sois encore un autre coup ? La matière, qui à force de se mêler est enfin arrivée à ce nombre, cette disposition et cet ordre nécessaire à la construction de ton être, peut-elle pas en se remêlant arriver à une disposition requise pour faire que tu te sentes être encore une autre fois ? Oui ; mais, me diras-tu, je ne me souviendrai pas d’avoir été ? Hé ! mon cher frère, que t’importe, pourvu que tu te sentes être ? Et puis ne se peut-il pas faire que pour te consoler de la perte de ta vie, tu imagineras les mêmes raisons que je te représente maintenant ?

« Voilà des considérations assez fortes pour t’obliger à boire cette absinthe en patience ; il m’en reste toutefois d’autres encore plus pressantes qui t’inviteront sans doute à la souhaiter. Il faut, mon cher frère, te persuader que comme toi et les autres brutes êtes matériels ; et comme la mort, au lieu d’anéantir la matière, elle n’en fait que troubler l’économie, tu dois, dis-je, croire avec certitude que, cessant d’être ce que tu étois, tu commenceras d’être quelque autre chose. Je veux donc que tu ne deviennes qu’une motte de terre, ou un caillou, encore seras-tu quelque chose de moins méchant que l’Homme. Mais j’ai un secret à te découvrir, que je ne voudrois pas qu’aucun de mes compagnons eût entendu de ma bouche : c’est qu’étant mangé, comme tu vas être, de nos petits Oiseaux, tu passeras en leur substance. Oui, tu auras l’honneur de contribuer, quoique aveuglement, aux opérations intellectuelles de nos Mouches, et de participer à la gloire, si tu ne raisonnes toi-même, de les faire au moins raisonner (208). »

Environ à cet endroit de l’exhortation, nous arrivâmes au lieu destiné pour mon supplice.

Il y avoit quatre arbres fort proches l’un de l’autre, et quasi en même distance, sur chacun lesquels à hauteur