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« Le nœud de l’affaire consiste à savoir si cet animal est Homme ; et puis en cas que nous avérions qu’il le soit, si pour cela il mérite la mort.

« Pour moi, je ne fais point de difficulté qu’il ne le soit, premièrement, par un sentiment d’horreur dont nous nous sommes tous sentis saisis à sa vue sans en pouvoir dire la cause[1] ; secondement, en ce qu’il rit comme un fou ; troisièmement, en ce qu’il pleure comme un sot ; quatrièmement, en ce qu’il se mouche comme un vilain ; cinquièmement, en ce qu’il est plumé comme un galeux ; sixièmement, en ce qu’il porte la queue[2] devant ; septièmement, en ce qu’il a toujours une quantité de petits grès carrés dans la bouche (200) qu’il n’a pas l’esprit de cracher ni d’avaler ; huitièmement, et pour conclusion, en ce qu’il lève en haut tous les matins ses yeux, son nez et son large bec, colle ses mains ouvertes la pointe au Ciel plat contre plat, et n’en fait qu’une attachée, comme s’il s’ennuyoit d’en avoir deux libres ; se casse les jambes par la moitié, en sorte qu’il tombe sur ses gigots (201) ; puis avec des paroles magiques qu’il bourdonne, j’ai pris garde que ses jambes rompues se rattachent, et qu’il se relève après aussi gai qu’auparavant. Or vous savez, Messieurs, que de tous les animaux il n’y a que l’Homme seul dont l’âme soit assez noire pour s’adonner à la magie, et par conséquent celui-ci est Homme. Il faut maintenant examiner si pour être Homme, il mérite la mort.

« Je pense, Messieurs, qu’on n’a jamais révoqué en doute que toutes les créatures sont produites par notre commune mère, pour vivre en société. Or si je prouve que l’Homme semble n’être né que pour la rompre, ne

  1. Var. d’un autre tirage : « puisqu’il est si effronté de mentir en soutenant qu’il ne l’est pas ».
  2. Dans l’autre tirage, ce mot est remplace par des points.