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mais on s’aperçut que le Ciel se couvroit et paroissoit chargé. Cela fit lever l’assemblée.

Je m’imaginois que l’apparence du mauvais temps les y avoit conviés, quand l’Avocat Général me vint dire, par ordre de la Cour, qu’on ne me jugeroit point ce jour-là ; que jamais on ne vidoit un procès criminel lorsque le Ciel n’étoit pas serein, parce qu’ils craignoient que la mauvaise température de l’air n’altérât quelque chose à la bonne constitution de l’esprit des juges ; que le chagrin dont l’humeur des Oiseaux se charge durant la pluie, ne dégorgeât sur la cause, ou qu’enfin la Cour ne se vengeât de sa tristesse sur l’accusé ; c’est pourquoi mon jugement fut remis à un plus beau temps. On me ramena donc en prison, et je me souviens que pendant le chemin ma charitable Pie ne m’abandonna guère, elle vola toujours à mes côtés, et je crois qu’elle ne m’eût point quitté, si ses compagnons ne se fussent approchés de nous.

Enfin j’arrivai au lieu de ma prison, où pendant ma captivité je ne fus nourri que du pain du Roi : c’étoit ainsi qu’ils appeloient une cinquantaine de vers, et autant de guillots (199) qu’ils m’apportoient à manger de sept heures en sept heures.

Je pensois recomparoître dès le lendemain, et tout le monde le croyoit ainsi ; mais un de mes Gardes me conta au bout de cinq ou six jours, que tout ce temps-là avoit été employé à rendre justice à une communauté de Chardonnerets, qui l’avoit implorée contre un de leurs compagnons. Je demandai à ce Garde de quel crime ce malheureux étoit accusé : « Du crime, répliqua le Garde, le plus énorme dont un Oiseau puisse être noirci. On l’accuse… le pourrez-vous bien croire ? On l’accuse… mais, bons Dieux ! d’y penser seulement les plumes m’en dressent à la tête… Enfin on l’accuse de n’avoir pas encore depuis six ans mérité d’avoir un ami ; c’est pourquoi il a