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mes yeux soulagés furent tout pleins de son image. Sa queue paroissoit verte, son estomac d’azur émaillé, ses ailes incarnates, et sa tête de pourpre faisoit briller en s’agitant une couronne d’or, dont les rayons jaillissoient de ses yeux.

Il fut longtemps à voler dans la nue, et je me tenois tellement collé à tout ce qu’il devenoit, que mon âme s’étant toute repliée et comme raccourcie à la seule opération de voir, elle n’atteignit presque pas jusqu’à celle d’ouïr, pour me faire entendre que l’Oiseau parloit en chantant.

Ainsi peu à peu débandé de mon extase, je remarquai distinctement les syllabes, les mots et le discours qu’il articula,

Voici donc au mieux qu’il m’en souvient, les termes dont il arrangea le tissu de sa chanson :

« Vous êtes étranger, siffla l’Oiseau fort agréablement, et naquîtes dans un Monde d’où je suis originaire. Or cette propension secrète dont nous sommes émus pour nos compatriotes, est l’instinct qui me pousse à vouloir que vous sachiez ma vie.

« Je vois votre esprit tendu à comprendre comment il est possible que je m’explique à vous d’un discours suivi, vu qu’encore que les Oiseaux contrefassent votre parole, ils ne la conçoivent pas ; mais aussi quand vous contrefaites l’aboi d’un chien ou le chant d’un rossignol, vous ne concevez pas non plus ce que le chien ou le rossignol ont voulu dire. Tirez donc conséquence de là que ni les Oiseaux ni les Hommes ne sont pas pour cela moins raisonnables.

« Cependant de même qu’entre vous autres, il s’en est trouvé de si éclairés, qu’ils ont entendu et parlé notre langue comme Apollonius Tianeus, Anaximander, Ésope (194), et plusieurs dont je vous tais les noms, pour ce qu’ils ne sont jamais venus à votre connoissance ; de