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et tels beaucoup plus pesans, ne fournirent que les os, la chair et l’embonpoint.

Quand ce beau grand jeune Homme fut entièrement fini, quoique sa prompte construction ne m’eût quasi pas laissé de temps pour remarquer aucun intervalle dans son progrès, je vis entrer, par la bouche, le Roi de tous les Peuples dont il étoit un chaos ; ce encore il me semble qu’il fut attiré dans ce corps par la respiration du corps même. Tout cet amas de petits hommes n’avoit point encore auparavant donné aucune marque de vie ; mais sitôt qu’il eut avalé son petit Roi, il ne se sentit plus être qu’un. Il demeura quelque temps à me considérer ; et s’étant comme apprivoisé par ses regards, il s’approcha de moi, me caressa, et me donnant la main : « C’est maintenant que, sans endommager la délicatesse de mes poumons, je pourrai t’entretenir des choses que tu passionnois de savoir, me dit-il ; mais il est bien raisonnable de te découvrir auparavant les secrets cachés de notre origine. Sache donc que nous sommes des animaux natifs du Soleil dans les régions éclairées. La plus ordinaire, comme la plus utile de nos occupations, c’est de voyager par les vastes contrées de ce grand Monde. Nous remarquons curieusement les mœurs des Peuples, le génie des climats et la nature de toutes les choses qui peuvent mériter notre attention ; par le moyen de quoi nous nous formons une science certaine de ce qui est. Or tu sauras que mes vassaux voyageoient sous ma conduite, et qu’afin d’avoir le loisir d’observer les choses plus curieusement, nous n’avions pas gardé cette conformation particulière à notre corps, qui ne peut tomber sous tes sens, dont la subtilité nous eût fait cheminer trop vite. Mais nous nous étions faits Oiseaux ; tous mes sujets par mon ordre étoient devenus Aigles ; et quant à moi, de peur qu’ils ne s’ennuyassent, je m’étois métamorphosé