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tout honteux de marcher sur le jour. Mon corps même étonné se voulant appuyer de mes yeux, et cette terre transparente qu’ils pénétroient, ne les pouvant soutenir, mon instinct malgré moi devenu maître de ma pensée, l’entraînoit au plus creux d’une lumière sans fond. Ma raison pourtant peu à peu désabusa mon instinct ; j’appuyai sur la plaine des vestiges (185) assurés et non tremblans, et je comptai mes pas si fièrement, que si les hommes avoient pu m’apercevoir de leur Monde, ils m’auroient pris pour ce grand Dieu qui marche sur les nues. Après avoir comme je crois, cheminé durant quinze jours, je parvins en une contrée du Soleil moins resplendissante que celle dont je sortais ; je me sentis tout ému de joie, et je m’imaginai qu’indubitablement cette joie procédoit d’une secrète sympathie que mon être gardoit encore pour son opacité. La connoissance que j’en eus ne me fit point pourtant désister de mon entreprise ; car alors je ressemblois à ces vieillards endormis, lesquels encore qu’ils sachent que le sommeil leur est préjudiciable, et qu’ils aient commandé à leurs domestiques de les en arracher, sont pourtant bien fâchés dans ce temps-là, quand on les réveille. Ainsi quoique mon corps s’obscurcissant à mesure que j’atteignois des Provinces plus ténébreuses, il recontracta les foiblesses qu’apporte cette infirmité de la matière : je devins las et le sommeil me saisit. Ces mignardes langueurs, dont les approches du sommeil nous chatouillent, coûtaient dans mes sens tant de plaisir, que mes sens gagnés par la volupté, forcèrent mon âme de savoir bon gré au tyran qui enchaînoit ses domestiques ; car le Sommeil, cet ancien tyran de la moitié de nos jours, qui à cause de sa vieillesse ne pouvant supporter la lumière, ni la regarder sans s’évanouir, avoit été contraint de m’abandonner à l’entrée des brillans climats du Soleil, et étoit venu