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et que la puissance de vouloir étant particulière aux choses sensibles, et celle de choir au centre étant généralement répandue par toute la matière, mon saut est contraint de cesser dès que la masse après avoir vaincu l’insolence de la volonté qui l’a surprise, se rapproche du point où elle tend.

Je tairai tout ce qui survint au reste de mon voyage, de peur d’être aussi longtemps à le conter qu’à le faire. Tant y a qu’au bout de vingt-deux mois j’abordai enfin très-heureusement les grandes plaines du Jour.

Cette terre est semblable à des flocons de neige embrasée, tant elle est lumineuse ; cependant c’est une chose assez incroyable, que je n’aie jamais su comprendre depuis que ma boîte tomba, si je montai ou si je descendis au Soleil. Il me souvient seulement quand j’y fus arrivé, que je marchois légèrement dessus ; je ne touchois le plancher que d’un point, et je roulois souvent comme une boule, sans que je me trouvasse incommodé de cheminer avec la tête, non plus qu’avec les pieds. Encore que j’eusse quelquefois les jambes vers le Ciel, et les épaules contre terre, je me sentois dans cette posture aussi naturellement situé, que si j’eusse eu les jambes contre terre, et les épaules vers le Ciel. Sur quelque endroit de mon corps que je me plantasse, sur le ventre, sur le dos, sur un coude, sur une oreille, je m’y trouvois debout. Je connus par là que le Soleil est un Monde qui n’a point de centre, et que comme j’étois bien loin hors de la sphère active du nôtre, et de tous ceux que j’avois rencontrés, il étoit par conséquent impossible que je pesasse encore, puisque la pesanteur n’est qu’une attraction du centre dans la sphère de son activité.

Le respect avec lequel j’imprimois de mes pas cette lumineuse campagne, suspendit pour un temps l’ardeur dont je pétillois d’avancer mon voyage. Je me sentois