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recouvroit autant ; et de cette sorte on ne doit pas s’ébahir que dans une région au-dessus de la moyenne où sont les vents, je continuasse de monter, parce que l’éther (170) devenoit vent, par la furieuse vitesse avec laquelle il s’engouffroit pour empêcher le vide, et devoit par conséquent pousser sans cesse ma machine.

Je ne fus quasi pas travaillé de la faim, hormis lorsque je traversai cette moyenne région ; car véritablement la froideur du climat me la fit voir de loin ; je dis de loin, à cause qu’une bouteille d’essence que je portois toujours, dont j’avalai quelques gorgées, lui défendit d’approcher.

Pendant tout le reste de mon voyage, je n’en sentis aucune atteinte ; au contraire, plus j’avançois vers ce Monde enflammé, plus je me trouvois robuste. Je sentois mon visage un peu chaud, et plus gai qu’à l’ordinaire ; mes mains paraissoient colorées d’un vermeil agréable, et je ne sais quelle joie couloit parmi mon sang qui me faisoit être au delà de moi.

Il me souvient que réfléchissant sur cette aventure, je raisonnai une fois ainsi. « La faim sans doute ne me sauroit atteindre, à cause que cette douleur n’étant qu’un instinct de Nature, avec lequel elle oblige les animaux à réparer par l’aliment ce qui se perd de leur substance, aujourd’hui qu’elle sent que le Soleil par sa pure, continuelle, et voisine irradiation, me fait plus réparer de chaleur radicale, que je n’en perds, elle ne me donne plus cette envie qui me seroit inutile. » J’objectois pourtant à ces raisons, que puisque le tempérament qui fait la vie, consistoit non-seulement en chaleur naturelle, mais en humide radical, où ce feu se doit attacher comme la flamme à l’huile d’une lampe, les rayons seuls de ce brasier vital ne pouvoient faire l’âme, à moins de rencontrer quelque matière onctueuse qui les fixât. Mais tout aussitôt je vainquis cette difficulté, après avoir pris