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nement procédoit de mon équipage ; car comme en matière de gueuserie j’étois assez nouveau, j’avois arrangé sur moi mes haillons si bizarrement, qu’avec une démarche qui ne convenoit point à l’habit, je paroissois moins un pauvre qu’un mascarade, outre que je passois vite, la vue basse et sans demander. À la fin considérant qu’une attention si universelle me menaçoit d’une suite dangereuse, je surmontai ma honte. Aussitôt que j’apercevois quelqu’un me regarder, je lui tendois la main. Je conjurois même la charité de ceux qui ne me regardoient point. Mais admirez comme bien souvent pour vouloir accompagner de trop de circonspection les desseins où la Fortune veut avoir quelque part, nous les ruinons en irritant cette orgueilleuse ! Je fais cette réflexion au sujet de mon aventure ; car ayant aperçu un homme vêtu en bourgeois médiocre, de qui le dos étoit tourné vers moi : « Monsieur, lui dis-je, le tirant par son manteau, si la compassion peut toucher… » Je n’avois pas entamé le mot qui devoit suivre, que cet homme tourna la tête. Ô Dieux ! que devint-il ? Mais, ô Dieux ! que devins-je moi-même ? Cet homme étoit mon Geôlier. Nous restâmes tous deux consternés d’admiration de nous voir où nous nous voyions. J’étois tout dans ses yeux ; il employoit toute ma vue. Enfin le commun intérêt, quoique bien différent, nous tira, l’un et l’autre, de l’extase où nous étions plongés. « Ha ! misérable que je suis, s’écria le Geôlier, faut-il donc que je sois attrapé ? » Cette parole à double sens m’inspira aussitôt le stratagème que vous allez entendre. « Hé ! main-forte, Messieurs, main-forte à la Justice ! criai-je tant que je pus glapir. Ce voleur a dérobé les pierreries de la Comtesse des Mousseaux ; je le cherche depuis un an. Messieurs, continuai-je tout échauffé, cent pistoles pour qui l’arrêtera ! » J’avois à peine lâché ces mots, qu’une tourbe de canaille éboula sur le