Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/212

Cette page a été validée par deux contributeurs.

gueux comme le Diable. Va, va, continua-t-il, mon camarade, songe de bonne heure à ta conscience. »

Il avoit à peine achevé ces paroles, que j’entendis le carillon d’un trousseau de clefs, où il choisissoit celle de mon cachot. Il avoit le dos tourné ; c’est pourquoi de peur qu’il ne se vengeât du malheur de sa visite, je tirai dextrement de leur cache trois pistoles, et je lui dis : « Monsieur le Concierge, voilà une pistole ; je vous supplie de me faire apporter un morceau, je n’ai pas mangé depuis onze heures. » Il la reçut fort gracieusement, et me protesta que mon désastre le touchoit. Quand je connus son cœur adouci :

« En voilà encore une, continuai-je, pour reconnoître la peine que je suis honteux de vous donner. »

Il ouvrit l’oreille, le cœur et la main ; et j’ajoutai, lui en comptant trois, au lieu de deux, que par cette troisième je le suppliois de mettre auprès de moi l’un de ses Garçons pour me tenir compagnie, parce que les malheureux doivent craindre la solitude.

Ravi de ma prodigalité, il me promit toutes choses, m’embrassa les genoux, déclama contre la Justice, me dit qu’il voyoit bien que j’avois des ennemis, mais que j’en viendrois à mon honneur, que j’eusse bon courage, et qu’au reste il s’engageoit, auparavant qu’il fût trois jours de faire blanchir mes manchettes. Je le remerciai très-sérieusement de sa courtoisie, et après mille accolades dont il pensa m’étrangler, ce cher ami verrouilla et reverrouilla la porte.

Je demeurai tout seul, et fort mélancolique, le corps arrondi sur un boteau de paille en poudre : elle n’étoit pas pourtant si menue, que plus de cinquante rats ne la broyassent encore. La voûte, les murailles et le plancher étoient composés de six pierres de tombe, afin qu’ayant la mort dessus, dessous, et à l’entour de moi, je ne pusse