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beau, qu’à la voirie. C’est pourquoi sauf votre meilleur avis, je serois fort joyeux de consentir à la tentation qui me suggère de ne leur laisser en cette Province que mon portrait ; car j’enragerois au double de mourir pour une chose à laquelle je ne crois guère. » Colignac n’eut quasi pas la patience d’attendre que j’eusse achevé pour répondre. D’abord, toutefois, il me railla ; mais quand il vit que je le prenois sérieusement : « Ha ! par la mort ! s’écria-t-il d’un visage alarmé, on ne vous touchera point au bord du manteau, que moi, mes amis, mes vassaux, et tous ceux qui me considèrent, ne périssent auparavant. Ma maison est telle, qu’on ne la peut forcer sans canon ; elle est très-avantageuse d’assiette, et bien flanquée. Mais je suis fou de me précautionner contre des tonnerres de parchemin. — Ils sont, lui répliquai-je, quelquefois plus à craindre que ceux de la moyenne région. »

De là en avant nous ne parlâmes que de nous réjouir. Un jour nous chassions, un autre nous allions à la promenade, quelquefois nous recevions visite, et quelquefois nous en rendions ; enfin nous quittions toujours chaque divertissement, avant que ce divertissement eût pu nous ennuyer.

Le marquis de Cussan, voisin de Colignac, homme qui se connoît aux bonnes choses, étoit ordinairement avec nous, et nous avec lui ; et pour rendre les lieux de notre séjour encore plus agréables par ce changement, nous allions de Colignac à Cussan, et revenions de Cussan à Colignac. Les plaisirs innocens dont le corps est capable, ne faisoient que la moindre partie. De tous ceux que l’esprit peut trouver dans l’étude et la conversation, aucun ne nous manquoit ; et nos bibliothèques unies comme nos esprits, appeloient tous les doctes dans notre société. Nous mêlions la lecture à l’entretien ;