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II. — Les États et Empires du Soleil[1]


Enfin notre vaisseau surgit au havre de Toulon (141) ; et d’abord après avoir rendu grâce aux vents et aux étoiles, pour la félicité du voyage, chacun s’embrassa sur le Port, et se dit adieu. Pour moi, parce qu’au monde de la Lune d’où j’arrivois, l’argent se met au nombre des contes faits à plaisir, et que j’en avois comme perdu la mémoire, le Pilote se contenta, pour le nolage, de l’honneur d’avoir porté dans son navire un homme tombé du Ciel. Rien ne nous empêcha donc d’aller jusques auprès de Toulouse, chez un de mes amis. Je brûlois de le voir, pour la joie que j’espérois lui causer, au récit de mes aventures. Je ne serai point ennuyeux à vous réciter tout ce qui m’arriva sur le chemin ; je me lassai, je me reposai, j’eus soif, j’eus faim, je bus, je mangeai au milieu de vingt ou trente chiens qui composoient sa meute. Quoi que je fusse en fort mauvais ordre, maigre, et rôti du hâle, il ne laissa pas de me reconnoître. Transporté de ravissement, il me sauta au cou, et, après m’avoir baisé plus de cent fois, tout tremblant d’aise, il m’entraîna dans son château, où sitôt que les larmes eurent fait place à la voix : « Enfin ; s’écria-t-il, nous vivons et nous vivrons, malgré tous les accidents dont la fortune a ballotté notre vie. Mais, bons dieux ! il n’est donc pas vrai le bruit qui courut que vous aviez été brûlé en Canada, dans ce grand feu d’artifice

  1. Voici le titre de cette seconde partie de l’Autre Monde dans les Nouvelles Œuvres, 1662 : Fragment d’histoire comique de Monsieur de Cyrano Bergerac contenant les Estats et Empires du Soleil.