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sais quoi de métal presque semblable à nos horloges, plein de je ne sais quelques petits ressorts et de machines imperceptibles. C’est un Livre à la vérité, mais c’est un Livre miraculeux qui n’a ni feuillets ni caractères ; enfin c’est un Livre où pour apprendre les yeux sont inutiles ; on n’a besoin que des oreilles. Quand quelqu’un donc souhaite lire, il bande avec grande quantité de toutes sortes de petits nerfs cette machine, puis il tourne l’aiguille sur le chapitre qu’il désire écouter, et au même temps il en sort comme de la bouche d’un homme, ou d’un instrument de musique, tous les sons distincts et différens qui servent, entre les grands lunaires, à l’expression du langage (124).

Lorsque j’ai depuis réfléchi sur cette miraculeuse invention défaire des Livres, je ne m’étonne plus de voir que les jeunes hommes de ce pays-là possédoient plus de connoissance à seize et dix-huit ans que les barbes grises du nôtre ; car sachant lire aussitôt que parler, ils ne sont jamais sans lecture ; à la chambre, à la promenade, en ville, en voyage, ils peuvent avoir dans la poche, ou pendus à la ceinture, une trentaine de ces Livres dont ils n’ont qu’à bander un ressort pour en ouïr un chapitre seulement, ou bien plusieurs, s’ils sont en humeur d’écouter tout un Livre : ainsi vous avez éternellement autour de vous tous les grands Hommes et morts et vivans qui vous entretiennent de vive voix. Ce présent m’occupa plus d’une heure ; enfin me les estans attachés en forme de pendans d’oreille, je sortis pour me promener, mais je ne fus pas plutôt au bout de la rue que je rencontrai une troupe assez nombreuse de personnes tristes.

Quatre d’entre eux portoient sur leurs épaules une espèce de cercueil enveloppé de noir. Je m’informai d’un regardant ce que vouloit dire ce convoi semblable