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préciée par des hommes qui n’en pouvaient comprendre les motifs. L’énergique modération de mon père était méconnue de ses contemporains, et sa gloire injuriée poursuivait sa femme du fond du tombeau ; ma pauvre mère, chargée d’un nom qui représentait l’impartialité, au milieu d’un monde plein de passions, se voyait abandonnée de tous dans son infortune. D’autres avaient la consolation de se plaindre ensemble : ma mère restait seule à pleurer.

Quelques jours après la dernière catastrophe qui venait de la rendre veuve, elle sentit qu’il fallait partir ; mais on ne pouvait sortir de France sans un passe-port, qui ne s’obtenait qu’à grand peine ; s’éloigner de Paris, c’était s’exposer aux soupçons, à plus forte raison était-il dangereux de passer la frontière.

Néanmoins, à force d’argent, ma mère parvint à se procurer un faux passe-port ; elle devait quitter la France par la Belgique, sous le nom d’une marchande de dentelles, tandis que ma bonne, cette berceuse lorraine dont je vous ai parlé, devait sortir par l’Alsace pour me réunir à ma mère en Allemagne. Nanette Malriat, née près de Sarrebourg, à Niderviller, chez mon grand-père, parlait allemand mieux que français ; elle pouvait passer pour une paysanne des Vosges voyageant avec son enfant ; le lieu du rendez-vous avait été fixé à Pyrmont en Westphalie ; de là