Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/423

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ainsi dire fasciné par les splendeurs du palais de son maître, humant avec un respect timide, avec une sorte de joie animale les émanations du royal festin, j’éprouvai une impression de plaisir. Enfin j’avais trouvé de la foule en Russie ; je ne voyais là-bas que des hommes ; pas un pouce de terrain ne paraissait, tant la presse était grande… Néanmoins dans les pays despotiques tous les divertissements du peuple me paraissent suspects quand ils concourent à ceux du prince ; la crainte et la flatterie des petits, l’orgueil et l’hypocrite générosité des grands, sont les seuls sentiments que je crois réels entre les hommes qui vivent sous le régime de l’autocratie.

Au milieu des fêtes de Pétersbourg, je ne puis oublier le voyage en Crimée de l’Impératrice Catherine et les façades de villages figurées de distance en distance en planches et en toiles peintes, à un quart de lieue de la route, pour faire croire à la souveraine triomphante que le désert s’était peuplé sous son règne. Des préoccupations semblables possèdent encore les esprits russes ; chacun masque le mal et figure le bien aux yeux du maître. C’est une permanente conjuration de sourires conspirant contre la vérité en faveur du contentement d’esprit de celui qui est censé vouloir et agir pour le bien de tous ; l’Empereur est le seul homme de l’Empire qui soit vivant ; car manger ce n’est pas vivre !…