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veut leur donner. Ce n’est pas à dire que la physionomie de ce prince manque de franchise ; non, je le répète, elle ne manque que de naturel : ainsi le plus grand des maux que souffre la Russie, l’absence de liberté, se peint jusque sur la face de son souverain : il a plusieurs masques, il n’a pas un visage. Cherchez-vous l’homme ? vous trouverez toujours l’Empereur.

Je crois qu’on peut tourner cette remarque à sa louange : il fait son métier en patience. Avec une taille qui dépasse celle des hommes ordinaires comme son trône domine les autres siéges, il s’accuserait de faiblesse s’il était un instant tout bonnement, et s’il laissait voir qu’il vit, pense et sent comme un simple mortel. Sans paraître partager aucune de nos affections, il est toujours chef, juge, général, amiral, prince enfin ; rien de plus, rien de moins[1]. Il se trouvera bien las vers la fin de sa vie ; mais il sera placé haut dans l’esprit de son peuple et peut-être du monde, car la foule aime les efforts qui l’étonnent, elle s’enorgueillit en voyant la peine qu’on prend pour l’éblouir.

Les personnes qui ont connu l’Empereur Alexandre

  1. L’autre jour un Russe revenait de Péter-bourg à Paris ; une femme de son pays lui dit : « Comment avez-vous trouvé le maitre ? — Très-bien. — Et l’homme ? — L’homme, je ne l’ai pas vu. » Je ne cesse de le répéter : les Russes sont de mon avis, mais c’est ce qu’ils ne diront pas.