Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/365

Cette page a été validée par deux contributeurs.

viteurs, parents, favoris, en Russie, tout doit suivre le tourbillon Impérial, en souriant jusqu’à la mort.

Tout doit s’efforcer d’obéir à la pensée du souverain ; cette pensée unique fait la destinée de tous : plus une personne est placée près de ce soleil des esprits, et plus elle est esclave de la gloire attachée à son rang : l’Impératrice en meurt.

Voilà ce que chacun sait ici et ce que personne ne dit, car, règle générale, personne ne profère jamais un mot qui pourrait intéresser vivement quelqu’un ; ni l’homme qui parle, ni l’homme à qui l’on parle ne doivent avouer que le sujet de leur entretien mérite une attention soutenue ou réveille une passion vive. Toutes les ressources du langage sont épuisées à rayer du discours l’idée et le sentiment, sans toute fois avoir l’air de les dissimuler, ce qui serait gauche. La gêne profonde qui résulte de ce travail prodigieux, prodigieux surtout par l’art avec lequel il est caché, empoisonne la vie des Russes. Un tel travail sert d’expiation à des hommes qui se dépouillent volontairement des deux plus grands dons de Dieu : l’âme et la parole qui la communique ; autrement dit, le sentiment et la liberté.

Plus je vois la Russie, plus j’approuve l’Empereur lorsqu’il défend aux Russes de voyager, et rend l’accès de son pays difficile aux étrangers. Le régime politique de la Russie ne résisterait pas vingt ans à