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faudages d’un monument déjà fameux en Europe, quoiqu’il ne soit pas terminé : ce sera l’église de Saint-Isaac ; enfin j’ai vu la façade du nouveau palais d’hiver, autre résultat prodigieux de la volonté d’un homme, appliquée à lutter à force d’hommes contre les lois de la nature. Le but a été atteint, car en un an ce palais est sorti de ses cendres, et c’est le plus grand, je crois, qui existe : il équivaut au Louvre et aux Tuileries réunis.

Pour que le travail fût terminé à l’époque dési gnée par l’Empereur, il a fallu des efforts inouïs ; on a continué les ouvrages intérieurs pendant les grandes gelées ; six mille ouvriers étaient continuellement à l’œuvre : il en mourait chaque jour un nombre considérable, mais les victimes étant à l’instant remplacées par d’autres champions qui couvraient les vides pour périr à leur tour sur cette brèche inglorieuse, les morts ne paraissaient pas. Et le seul but de tant de sacrifices était de justifier le caprice d’un homme ! Chez les peuples naturellement, c’est-à-dire anciennement civilisés, on n’expose la vie des hommes que pour des intérêts communs, et dont presque tout le monde reconnaît la gravité. Mais combien de générations de souverains n’a pas corrompues l’exemple de Pierre Ier !

Pendant des froids de 26 à 30 degrés, six mille martyrs obscurs, martyrs sans mérite, martyrs d’une