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« La Russie est le pays des formalités inutiles, » murmuraient-ils entre eux, mais en français, de peur d’être entendus des employés subalternes. J’ai retenu la remarque dont ma propre expérience ne m’a déjà que trop prouvé la justesse. D’après ce que j’ai pu entrevoir jusqu’ici, un ouvrage qui aurait pour titre les Russes jugés par eux-mêmes, serait sévère ; l’amour de leur pays n’est pour eux qu’un moyen de flatter le maître : sitôt qu’ils pensent que ce maître ne peut les entendre, ils parlent de tout avec une franchise d’autant plus redoutable que ceux qui écoutent deviennent responsables.

La cause de tant de retards nous fut enfin révélée. Le chef des chefs, le supérieur des supérieurs, le di recteur des directeurs des douaniers se présente : c’était cette dernière visite que nous attendions depuis longtemps sans le savoir. Au lieu de s’astreindre à porter l’uniforme, ce fonctionnaire suprême arrive en frac comme un simple particulier. Il paraît que son rôle est de jouer l’homme du monde : d’abord il fait le gracieux, l’élégant auprès des dames russes ; il rappelle à la princesse D*** leur rencontre dans une maison où la princesse n’a jamais été ; il lui parle des bals de la cour, où elle ne l’a jamais vu ; enfin il nous donne la comédie, il la donne surtout à moi, qui ne me doutais guère qu’on pût affecter d’être plus qu’on n’est, dans un pays où la vie est notée, où le rang de