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les noms inscrits sur les passe-ports ; chaque date, chaque visa étaient examinés avec un soin minutieux ; mais le passager, martyrisé par cette torture morale, n’était jamais interrogé qu’en phrases dont le tour, correctement poli, me paraissait destiné à le consoler sur la sellette.

Le résultat du long interrogatoire qu’on me fit subir, ainsi qu’à tous les autres, fut qu’on me prit mon passe-port après m’avoir fait signer une carte ; moyennant laquelle je pourrais, me disait-on, réclamer ce passe-port à Saint-Pétersbourg.

Tous semblaient avoir satisfait aux formalités ordonnées par la police ; les malles, les personnes étaient déjà sur le nouveau bateau, depuis quatre heures d’horloge nous languissions devant Kronstadt, et l’on ne parlait pas encore de partir.

À chaque instant de nouvelles nacelles noires sortaient de la ville et ramaient tristement vers nous : quoique nous eussions mouillé très-près des murs de la ville, le silence était profond… Nulle voix ne sortait de ce tombeau ; les ombres qu’on voyait naviguer autour étaient muettes comme les pierres qu’elles venaient de quitter ; on aurait dit d’un convoi préparé pour un mort qui se faisait attendre. Les hommes qui dirigeaient ces embarcations lugubres et mal soignées étaient vêtus de grossières capotes de laine grise, leurs physionomies manquaient d’expression ;