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tant de précautions, qui passent ici pour indispensables, mais dont on se dispense parfaitement ailleurs, m’avertissaient que j’étais près d’entrer dans l’empire de la peur ; et la peur se gagne comme la tristesse : donc j’avais peur et j’étais triste….. par politesse….. pour me mettre au diapason de tout le monde.

On m’engagea à descendre dans la grande salle de notre paquebot, où je devais comparaître devant un aréopage de commis assemblés pour interroger les passagers. Tous les membres de ce tribunal, plus redoutable qu’imposant, étaient assis devant une grande table ; plusieurs de ces hommes feuilletaient des registres avec une attention sinistre ; ils paraissaient trop absorbés pour n’avoir pas quelque charge secrète à remplir : leur emploi avoué ne suffisait pas à motiver tant de gravité.

Les uns, la plume à la main, écoutaient les réponses des voyageurs, ou, pour mieux dire, des accusés, car tout étranger est traité en coupable à son arrivée sur la frontière russe ; les autres transmettaient de vive voix à des copistes des paroles auxquelles nous n’attachions nulle importance ; ces paroles se traduisant de langue en langue, et passant du français par l’allemand, arrivaient enfin au russe, où le dernier des scribes les fixait irrévocablement et peut-être arbitrairement sur son livre. On copiait