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s’il avait le génie qu’on lui prête, il devait pressentir la portée de son œuvre, et quant à moi je ne doute pas qu’il ne l’ait pressentie. La politique, et je le crains bien, les vengeances d’amour-propre du Czar irrité par l’indépendance des vieux Moscovites, ont fait les destinées de la Russie moderne. Les Russes ont beau s’applaudir en paroles du sort qu’on leur a fait, ils pensent en secret comme moi que le contraire eût valu mieux.

La Russie est comme un homme plein de vigueur qui étouffe ; elle manque de débouchés. Pierre Ier lui en avait promis, il lui a ouvert le golfe de Finlande, sans s’apercevoir qu’une mer nécessairement fermée huit mois de l’année n’est pas ce que sont les autres mers. Mais les noms sont tout pour les Russes. Les efforts de Pierre Ier, de ses sujets et de ses successeurs, tout étonnants qu’ils sont, n’ont produit qu’une ville difficile à habiter, à laquelle la Néva dispute son sol à chaque coup de vent qui part du golfe, et d’où les hommes pensent à fuir à chaque pas que la guerre leur permet de faire vers le Midi. Pour un bivouac, des quais de granit étaient de trop.

Les Finois, près desquels les Russes sont allés bâtir leur capitale, sont Scythes d’origine ; c’est un peuple presque païen encore ; ils sont tellement sauvages, que ce n’est qu’en 1836 qu’a paru l’ukase qui oblige le prêtre à joindre un nom de famille au nom