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Quant à moi, ce colossal enfantillage ne me dispose nullement à l’admiration pour ce que je vais trouver dans l’intérieur de l’Empire. Pour admirer la Russie en y arrivant par eau, il faudrait oublier l’entrée de l’Angleterre par la Tamise : c’est la mort et la vie. Dans leur idiome si poétique dès qu’il peint les scènes maritimes, les Anglais appellent un vaisseau de la marine royale : un homme de guerre. Jamais les Russes ne dénommeront de la sorte leurs bâtiments de parade. Muets esclaves d’un maître capricieux, courtisans de bois, ces pauvres hommes de cour, fidèle emblème des eunuques du sérail, sont les invalides de la marine impériale.

Loin de m’inspirer l’admiration qu’on attend ici de moi, cette improvisation despotique me cause une sorte de peur : non la peur de la guerre, celle de la tyrannie. L’inutile marine de Nicolas Ier me retrace tout ce qu’il y avait d’inhumanité dans le cœur de Pierre Grand, le type de tous les souverains russes anciens et modernes… et je me dis, où vais-je ? qu’est-ce que la Russie ? La Russie : c’est un pays où l’on peut faire les plus grandes choses pour le plus mince résultat…… N’y allons pas !…

En jetant l’ancre devant Kronstadt, nous apprîmes qu’un des beaux vaisseaux que nous avions vu manœuvrer autour de nous, l’instant d’auparavant, venait d’échouer sur un banc de sable. Ce naufrage