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Je commençais à m’effrayer de la langue hardie du prince K***

Singulier pays que celui qui ne produit que des esclaves recevant à genoux l’opinion qu’on leur fait, des espions qui n’en ont aucune, afin de mieux saisir celle des autres, ou des moqueurs qui exagèrent le mal : autre manière très-fine d’échapper au coup d’œil observateur des étrangers ; mais cette finesse même devient un aveu ; car chez quel autre peuple a-t-on jamais cru nécessaire d’y avoir recours ? Le métier de mystificateur des étrangers n’est connu qu’en Russie, et il sert à nous faire deviner et comprendre l’état de la société dans ce singulier pays. Tandis que ces réflexions me passaient par l’esprit, le prince poursuivait le cours de ses déductions phi losophiques :

« Le peuple et même les grands, résignés spectateurs de cette guerre à la vérité, en supportent le scandale, parce que le mensonge du despote, quelque grossière que soit la feinte, paraît toujours une flatterie à l’esclave. Les Russes, qui souffrent tant de choses, ne souffriraient pas la tyrannie, si le tyran ne faisait humblement semblant de les croire dupes de sa politique. La dignité humaine, abîmée sous le gouvernement absolu, se prend à la moindre branche qu’elle peut saisir dans le naufrage : l’humanité veut bien se laisser dédaigner, bafouer, mais elle ne