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çant, se mêle de la conversation, c’est ordinairement pour l’interrompre. Alors on rit, on chante, et puis on recommence à danser des danses russes.

Cette gaieté, quelque innocente qu’elle soit, n’en scandalise pas moins deux Américains qui vont à Pétersbourg pour affaires. Ces habitants du nouveau monde ne se permettent pas même de sourire aux folles joies des jeunes femmes de l’Europe ; ils ne voient pas que cette liberté est de l’insouciance, et que l’insouciance est la sauvegarde des jeunes cœurs. Leur puritanisme se révolte non-seulement devant le désordre, mais devant la joie : ce sont des jansénistes protestants, et pour leur complaire, il faudrait faire de la vie un long enterrement.

Heureusement que les femmes que nous avons bord ne consentent pas à s’ennuyer pour donner raison à ces marchands pédants. Elles ont des manières plus simples que la plupart des femmes du Nord, qui, lorsqu’elles viennent à Paris, se croient obligées de contourner leur esprit pour nous séduire ; celles-ci plaisent sans avoir l’air de penser à plaire ; leur accent en français me paraît meilleur que celui de la plupart des femmes polonaises : elles chantent peu en parlant, et ne prétendent pas corriger notre langue, selon la manie de presque toutes les dames de Varsovie que j’ai rencontrées autrefois en Saxe et en Bohême, manie qui tient peut-être à la pédanterie