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crains pour nous plus que je n’espère, et l’impatience de cette jeunesse française qui, sous le règne sanglant de la Convention, nous promettait tant de triomphes, me paraît aujourd’hui le signal de la décadence. L’état présent avec tous ses inconvénients, est encore un ordre de choses plus heureux pour tous que ne le sera le siècle qu’il nous présage, et dont je m’efforce en vain de détourner ma pensée.

La curiosité que j’ai de voir la Russie et l’admiration que me cause l’esprit d’ordre qui doit présider à l’administration de ce vaste État, ne m’empêchent pas de juger avec impartialité la politique de son gouvernement. La domination de la Russie se bornât-elle aux exigences diplomatiques, sans aller jusqu’à la conquête, me paraîtrait ce qu’il y a de plus redoutable pour le monde. On se trompe sur le rôle que cet État jouerait en Europe : d’après son principe constitutif il représenterait l’ordre ; mais d’après le caractère des hommes, il propagerait la tyrannie sous prétexte de remédier à l’anarchie ; comme si l’arbitraire remédiait à aucun mal ! L’élément moral manque à cette nation ; avec ses mœurs militaires et ses souvenirs d’invasions elle en est encore aux guerres de conquêtes, les plus brutales de toutes, tandis que les luttes de la France et des autres nations de l’Occident seront dorénavant des guerres de propagande.

Le nombre des passagers que j’ai rencontrés sur