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— Vous avez parfaitement deviné ce que vous allez voir : vous ne sauriez vous faire une juste idée de la profonde intolérance des Russes ; ceux qui ont l’esprit cultivé et qui communiquent par les affaires avec l’occident de l’Europe, mettent le plus grand art à cacher leur pensée dominante qui est le triomphe de l’orthodoxie grecque, synonyme pour eux de la politique russe. Sans cette pensée, rien ne s’explique ni dans nos mœurs, ni dans notre politique. Vous ne croyez pas, par exemple, que la persécution de la Pologne soit l’effet du ressentiment personnel de l’Empereur : elle est le résultat d’un calcul froid et profond. Ces actes de cruauté sont méritoires aux yeux des vrais croyants, c’est le Saint-Esprit qui éclaire le souverain au point d’élever son âme au-dessus de tout sentiment humain, et Dieu bénit l’exécuteur de ses hauts desseins : d’après cette manière de voir, juges et bourreaux sont d’autant plus saints qu’ils sont plus barbares. Vos journaux légitimistes ne savent ce qu’ils veulent quand ils cherchent des alliés chez les schismatiques. Nous verrons une révolution européenne avant de voir l’Empereur de Russie servir de bonne foi un parti catholique : les protestants seront réunis au Pape plus aisément que le chef de l’autocratie russe, car les protestants ayant vu toutes leurs croyances dégénérer en systèmes et leur foi religieuse changée en un doute philosophique,