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involontairement du fond de l’entretien et de l’esprit naturel et cultivé du prince K*** ; ce plaisir rare et délicat me fit rougir du premier jugement que j’avais porté sur ce vieux goutteux en le voyant arriver dans notre vaisseau. Jamais heures ne passèrent plus vite que ce temps presqu’uniquement employé par moi à écouter. J’étais instruit autant qu’amusé.

Le ton du grand monde, en Russie, est une politesse facile dont le secret s’est à peu près perdu chez nous. Il n’y eut pas jusqu’au secrétaire du prince K***, qui, quoique Français, ne me parût réservé, modeste, exempt de vanité, et dès lors supérieur aux soucis de l’amour-propre, aux mécomptes de la vanité.

Si c’est là ce qu’on gagne à vivre sous le despotisme, vive la Russie[1]. Comment les manières élégantes pourraient-elles subsister dans un pays où l’on ne respecte rien, puisque le bon ton n’est que le discernement dans les témoignages du respect ? Recommençons à montrer du respect pour ce qui a droit

  1. L’auteur s’en rapporte au lecteur de bonne foi pour accorder ses apparentes contradictions ; apprendre, c’est se contredire ; et de ces divers retours qu’on fait sur les choses et sur moi-même sort une opinion définitive la plus raisonnable qu’il soit possible d’indiquer ; la formuler définitivement appartient au philosophe, mais le voyageur doit rester dans son rôle ; il y a un degré de conséquence qui n’est qu’à la portée du mensonge : ce n’est pas à celui-là que j’aspire.