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tés, une tristesse indéfinissable vous saisit ; votre pensée défaillante produit avec peine ; et son inutile travail ressemble aux formes indécises des nuages pailletés dont vos yeux sont éblouis.

Si vous revenez à vous, c’est pour partager la mélancolie jusqu’alors incompréhensible des peuples du Nord et pour sentir, comme ils le sentent, le charme de leur monotone poésie. Cette initiation aux douceurs de la tristesse est douloureuse ; c’est un plaisir pourtant : vous suivez lentement, au bruit des tempêtes, le char de la mort en chantant des hymnes de regret et d’espérance ; votre âme en deuil se prête à toutes les illusions, elle sympathise avec tous les objets dont vos yeux sont frappés. L’air, la brume, l’eau, tout vous cause une impression nouvelle, soit à l’odorat, soit au tact ; il y a quelque chose d’étrange dans vos sensations ; elles vous disent que vous approchez des dernières limites du monde vivant ; la zone glaciale est là devant vous et le vent du pôle vous pénètre jusqu’au cœur. Ce n’est pas doux ; c’est curieux et nouveau.

Je ne puis me consoler d’avoir été retenu si tard cet été par ma santé à Paris et à Ems : si j’avais suivi mon premier plan de voyage, je serais maintenant en Laponie, sur les bords de la mer Blanche, bien au delà d’Archangel ; mais, vous le voyez, je crois y être : c’est la même chose…