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perceptibles : tout se perd dans le vague et le vide des horizons brumeux. Ce ciel impénétrable ne laisse pas aux objets leurs vivantes couleurs : tout se ternit, tout se modifie sous cette voûte de nacre. Les vaisseaux qui glissent à l’horizon s’y détachent en noir ; car les lueurs du crépuscule perpétuel miroitent à peine sur la moire de l’eau, elles n’ont pas la force de dorer la voilure d’un bâtiment lointain : les agrès des navires qu’on voit cingler au nord, loin de briller comme ils brilleraient sur d’autres mers, se dessinent légèrement en noir contre le rideau grisâtre du ciel qui ressemble à une toile tendue pour une représentation d’ombres chinoises. J’ai honte de le dire, mais dans le nord le spectacle de la nature, tout grand qu’il est, me rappelle malgré moi une immense lanterne magique dont la lumière éclairerait mal et dont les verres seraient usés. Je n’aime pas les comparaisons qui rapetissent ; mais à tout prix il faut tâcher de rendre ce qu’on sent. L’enthousiasme est plus commode à exprimer que le dénigrement ; toutefois, pour être vrai, il faut peindre et définir l’un et l’autre.

À l’entrée de ces déserts blanchis, une terreur poétique vous saisit : vous vous arrêtez effrayé sur le seuil du palais de l’hiver habité par le temps : près d’avancer dans ce séjour des froides illusions, des songes encore brillants non plus dorés, mais argen-