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mière fois à ma pensée. Je ne pouvais respirer dans cette petite case, qui pourtant est propre et soignée : je suis sorti pour aller chercher un air libre. Je voyais là les heureux du pays, et je me répétais tout bas mon refrain : « Où il n’y a que le nécessaire, il n’y a rien. » Heureuse l’âme qui demande le reste à la religion !… Mais la religion des protestants ne donne elle-même que le nécessaire.

Depuis que cette belle créature est liée au sort commun, elle vit sans peine, mais sans plaisir, ce qui me semble la plus grande des peines. Le mari ne va pas à la pêche pendant l’hiver. La femme a rougi en me faisant cet aveu, qui m’a causé un secret plaisir. Ce mari, si laid, n’est pas courageux ; mais Lise a repris comme pour répondre à ma pensée : « Mon fils ira bientôt. » Elle m’a montré, suspendue au fond de la chambre, une grosse pelisse de peau de mouton, doublée de sa laine, destinée au premier voyage de ce vigoureux enfant de la mer.

Je ne reverrai jamais, du moins je l’espère, la Monna Lise de Travemünde.

Pourquoi faut-il que la vie réelle ressemble si peu à la vie de l’imagination ? À quelle fin nous est-elle donc donnée, cette imagination… inutile ? Que dis-je, inutile, nuisible ? Mystère impénétrable et qui ne se dévoile qu’à l’espérance, encore par lueurs fugitives ! L’homme est un forçat châtié, non corrigé,