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gneur, et se montre pour peu de temps ; le printemps n’arrive qu’au mois de juin, quand l’été va s’en aller ; mais si l’été y est court, les jours y sont longs. Et puis il règne une sorte de sérénité sublime dans un paysage horizontal, où le sol est à peine visible et où le ciel tient la plus grande place : en contemplant cette terre basse comme la mer, qu’à peine elle arrête, cette terre unie et qui ne s’est jamais ressentie des commotions du globe, terre à l’abri des révolutions de la nature comme des troubles de la société, on admire, on s’attendrit, comme on adore un front virginal. Je trouve ici le charme d’une idylle qui me reposerait du dévergondage dramatique de nos romans et de nos comédies ; ce n’est pas pittoresque, mais c’est champêtre et différent de tout ; car ce n’est pas le champêtre et le pastoral des autres beaux lieux de l’Europe.

Le crépuscule de dix heures me rend la promenade du soir délicieuse ; il règne dans l’air à ce moment un silence solennel ; c’est la suspension de la vie, rien ne parle aux sens : ils sont pour ainsi dire hors d’atteinte ; mes regards, perdus dans la contemplation des pâles astres du Nord, s’enfoncent loin de la terre, ou plutôt ils s’arrêtent, ils renoncent, et mon esprit, déployant ses ailes dans le vague espace où il plane, échappe aux régions inférieures pour s’élancer librement jusqu’au delà du ciel visible.