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choses ; car il y a plus d’affinité entre les fantômes de l’imagination et l’âme qui les produit qu’entre cette âme et le monde extérieur.

Je rêvais éveillé. De la crainte à la certitude le passage est si court que je tombais dans le délire. Mon malheur était certain : je poussais des cris de terreur ; et cette phrase me revenait sans cesse à la bouche comme un refrain désolant : « C’est un rêve, mais les rêves sont des avertissements… »

Ah ! si le destin qui nous domine était un poëte, quel homme voudrait vivre ? Les imaginations inventives sont si cruelles !… Heureusement que le destin est l’instrument d’un Dieu qui est plus que poëte. Chaque cœur porte en lui sa tragédie comme sa mort ; mais souvent ce prophète intime se trompe de vie ; ses prévisions ne s’accomplissent pas toutes en ce monde.

Ce matin, l’air frais de la prairie, la beauté du ciel, la contemplation du paysage uni, tranquille, et des doux rivages qui bordent la mer Baltique, à Travemünde, ont fait taire cette voix secrète et dissipé, comme par enchantement, le rêve sans réveil qui me tourmentait depuis trois jours. Si je ne vois plus votre mort, ce n’est pas que j’aie réfléchi : que peut le raisonnement contre les atteintes d’une puissance surnaturelle ? Mais lassé de craindre follement, je me rassure sans motif ; aussi ce repos n’est-il rien moins