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Il ne parlait jamais politique ni religion ; il avait une grande confiance en ma mère, à laquelle il racontait ses chagrins domestiques. Nous le voyions de temps en temps ; j’étais encore enfant lorsqu’il mourut : c’était au commencement de l’Empire.

La première pensée que fait naître le souvenir des malheurs de cette jeune femme, et de la protection divine par laquelle elle échappa tant de fois au péril, c’est que Dieu la réservait sans doute à des joies qui la dédommageraient de tant d’épreuves. Hélas ! ce n’est pas dans ce monde qu’elle les a trouvées.

Ne dirait-on pas qu’une créature ainsi poursuivie par le sort et protégée par le ciel devait inspirer à tous les hommes une sorte de respect et le désir de lui faire oublier ce qu’elle avait souffert ? Mais les hommes ne pensent qu’à eux-mêmes.

Ma pauvre mère perdit, à lutter contre la pauvreté, les plus belles années de cette vie miraculeusement conservée.

L’énorme fortune de mon grand-père, confisquée et vendue à vil prix au profit de la nation, était presque évanouie : de toute cette opulence il ne nous restait que les dettes. Le gouvernement ne se chargeait pas de payer les créanciers ; il prenait les biens et laissait les charges à ceux qu’il avait dépouillés de tout moyen de s’acquitter.

Vingt années s’écoulèrent en procès ruineux, pour