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trait un découragement qui faisait rougir ses compagnes d’infortune. Avec l’insouciance d’une créole, elle était pusillanime à l’excès ; les autres savaient se résigner, elle espérait toujours ; elle passait sa vie à tirer les cartes en cachette et à pleurer devant tout le monde, au grand scandale de ses compagnes. Mais elle était naturellement gracieuse ; et la grâce ne nous sert-elle pas à nous passer de tout ce qui nous manque ? Sa tournure, ses manières, son parler surtout, avaient un charme particulier : cependant, il faut le dire, elle n’était ni magnanime ni franche : les autres prisonnières la plaignaient, en déplorant son peu de courage ; car, toutes victimes qu’elles étaient de la République, elles restaient républicaines par caractère : je parle de mesdames de Lameth et d’Aiguillon ; ma mère n’était que femme, mais avec tant de grandeur d’âme, que chaque sacrifice était pour elle un exemple qui lui donnait une sorte d’émulation noble, et l’élevait tout d’abord au niveau des actions inspirées par les sentiments mêmes qu’elle ne partageait pas.

Il avait fallu des combinaisons uniques dans l’histoire pour former une femme telle que ma mère ; on ne retrouvera jamais le mélange de grandeur d’âme et de sociabilité produit en elle par l’élégance et le bon goût des conversations qu’on entendait dans le salon de sa mère, dans celui de madame de Polignac à