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oppressé, dans sa barbe blanche, que nous n’y restions tous deux ! Nous avons, là, vu la mort de plus près que jamais, avant notre heure dernière, nous ne la reverrons, j’espère. Maintenant nous sommes tirés d’affaire et au chaud, bien confortablement. Tu n’as plus peur, au moins ?

Il vint s’asseoir près de Jeanne et, doucement, écarta la fourrure qui enveloppait l’enfant. De petites joues roses apparurent. Quant aux yeux de Jeanne, ils luisaient dans la nuit comme deux étoiles.

— C’est le bébé qui nous a sauvés, murmura-t-elle. Les loups avaient dispersé les chiens et déjà ils bondissaient sur nous deux, quand l’un d’eux, les précédant, atteignit le traîneau. J’ai cru d’abord que c’était un de nos chiens. Mais non, c’était bien un loup ! Une première fois, il essaya de nous mordre. Mais ses dents se perdirent dans la peau de l’ours. Il s’élança de nouveau et était presque à ma gorge, lorsque bébé cria. Alors il arrêta son élan à un pouce de nous, et j’eusse juré que c’était un chien. Presque aussitôt, il se retourna et combattit pour nous. Je l’ai vu terrasser un de ses frères qui allait nous dévorer.

— C’était bien un chien, ma chérie, répondit Pierre en étendant ses mains vers la chaleur du feu. Il arrive souvent que des chiens s’éloignent des postes et vont se mêler aux loups. Je l’ai constaté moi-même, à mes dépens. Mais un chien reste chien toute sa vie. Même s’il a été maltraité, même en la compagnie des loups, sa nature primitive demeure. Il était venu pour tuer, mais une fois à portée de le faire…

— Il est redevenu notre défenseur, notre sauveur. Oui la pauvre bête, ajouta-t-elle avec un soupir, s’est battue pour nous. Elle a été même cruellement blessée. Je l’ai vue partir en traînant tristement la patte. Père, elle doit être quelque part, à cette heure, en train d’agoniser.