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pierre curie

souffle qu’elle rencontre, il faudrait que tout fût immobile autour de moi ou que lancé comme une toupie qui ronfle, le mouvement même me rende insensible aux choses extérieures.

» Lorsqu’en train de tourner lentement sur moi-même, j’essaye de me lancer, un rien, un mot, un récit, un journal, une visite m’arrêtent et peuvent reculer ou retarder à jamais l’instant où, pourvu d’une vitesse suffisante, je pourrais malgré ce qui m’entoure, me concentrer en moi-même… Il nous faut manger, boire, dormir, paresser, aimer, toucher aux choses les plus douces de cette vie, et pourtant ne pas succomber ; il faut qu’en faisant tout cela, les pensées anti-naturelles auxquelles on s’est voué restent dominantes et continuent leur cours impassible dans notre pauvre tête ; il faut faire de la vie un rêve et faire d’un rêve une réalité. »

Cette analyse aigüe, d’une lucidité assez surprenante chez un jeune homme de vingt ans, évoque d’une manière admirable le milieu nécessaire aux plus hautes manifestations de la pensée ; elle comporte un véritable enseignement qui, s’il était compris, faciliterait la route aux esprits rêveurs capables d’ouvrir pour l’humanité des voies nouvelles.

L’unité de pensée vers laquelle tendait Pierre Curie était troublée non seulement par ses obligations professionnelles et sociales, mais aussi par ses goûts, qui le poussaient vers une culture littéraire et artistique étendue. Comme son père, il aimait la lecture et ne craignait pas d’aborder les œuvres littéraires ardues ; à quelque critique faite à ce sujet, il répondait