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Quand il cherchait à fixer sa pensée, de monstrueuses figures se dressaient devant lui dans l’obscurité et il entendait des fragments de conversation dans lesquels de longues phrases ne signifiaient rien. Il alluma une bougie et s’assit dans son lit, serrant son front dans ses mains et commençant à comprendre ce que c’était réellement que le désespoir.

Lorsque le jour parut, il se creusait encore la cervelle pour trouver un sujet. Et plus la lumière augmentait, plus il se sentait agité. Il n’avait pas l’habitude de remettre ce qu’il avait résolu de faire et il savait qu’il devait écrire ce jour-la les premiers mots de son premier livre ou perdre à jamais tout respect de lui-même. Son supplice devenait intolérable, il se trouvait dans la situation d’un condamné à mort sur le point d’être exécuté et auquel il ne resterait pour unique chance de grâce qu’à inventer un plan de roman. Il ne put supporter cela plus longtemps, et, se jetant à bas du lit, il ouvrit la fenêtre. L’air frais d’une matinée de mai emplit subitement la chambre de fraîcheur et son cerveau surexcité fut pris d’un nouveau sentiment de sa capacité. Sans songer à s’habiller il s’assit devant sa table et prit une plume. Une feuille de papier se trouvait devant lui et l’habitude d’écrire était trop forte pour y résister.

Il jeta un coup d’œil sur le calendrier. On était au 5 mai.

« Bon, dit-il tout haut, les nombres impairs portent bonheur. Va pour mon premier roman. »

Et là-dessus, à sa grande surprise, il se mit à écrire rapidement. Il ignorait ce qui allait venir, à peine s’il savait si son héros avait les cheveux noirs ou châtains, et il n’avait pas du tout songé