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tuation présente. Néanmoins il n’était pas découragé ! Si de travers que le monde le regardât, il le regardait plus de travers encore, et il ferait rougir les joues de la fortune en la frappant de la bourse vide qu’elle lui avait jetée au visage. Il accélérait sen pas, et les doigts lui démangeaient de tenir la plume. C’était un de ces hommes que la défaite enhardit et qui réservent le luxe des désespoirs et des abattements pour les heures de succès.

Sans la plus légère hésitation il se mit à l’œuvre. À peine s’il savait comment il s’était décidé à écrire un article sur la critique et les critiques ; mais lorsqu’il s’assit devant sa taille l’idée était déjà présente et des phrases cruelles s’accumulaient dans son cerveau. Tout à coup, il comprit à quel point il haïssait la besogne qu’il avait faite jusque-là ; à quel point il se méprisait de l’avoir faite, à quel point il détestait ceux qui lui avaient réparti sa portion de chaque jour. Quelle satisfaction que « d’abattre de la copie, » comme disent les reporters ! Quelle joie que de déverser son trop-plein d’injures sur quelqu’un et sur quelque chose, et principalement sur lui-même, en sa qualité de critique ! Vouer la profession tout entière à un éternel mépris, s’offrir comme une cible à la colère publique, cracher dessus, la fouler aux pieds, la mettre en pièce et en disperser les lambeaux aux quatre vents de la réprobation ! Les phrases couraient comme des feux follets sur le papier à mesure qu’il s’échauffait sur son travail, et qu’il tirait d’anciens anathêmes des profondeurs de sa mémoire pour renforcer la première grêle d’injures. « Anathema maranatha » ! Maudite soit la critique ! maudits soient les critiques ! Que tout soit maudit !