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ne l’aimais pas parce que c’était une femme, mais parce qu’elle ne ressemblait pas aux autres… et me paraissait une espèce d’ange. Mes oreilles à présent sont lasses de musique angélique. Je me figurais autrefois que l’amitié n’existait pas. J’ai changé d’avis, Constance est pour moi une très bonne amie, et moi un très bon ami pour elle, quoique aucun de nous ne puisse plus comprendre la vie de l’autre comme autrefois.

« Ai-je manqué de cœur avec la pauvre Mamie ?

« Oui, je le pense, car je lui ai fait croire pendant un temps que je l’aimais. Soyons franc.

« Ce quelque chose que j’ai éprouvé, je me suis persuadé que cela ressemblait presque à de l’amour. Ce n’était que le résultat de ma vanité flattée de me voir tant aimé. J’ai vécu des mois dans un palais et dans un jardin enchantés, dont elle était l’enchanteresse. Tout contribuait à éveiller en moi le bonheur de vivre, la croyance que la réalité était supérieure au roman, et qu’en amour il valait mieux recevoir que donner. Et comme tout cela me paraît banal, quand je regarde en arrière Je ne me souviens pas d’avoir une seule fois éprouvé une douleur comme celle produite par un coup de couteau juste au-dessous du cœur, pendant tout ce temps-là, quoique mon sang coulât assez vite quelquefois. Qui aurait pu croire qu’un homme pût être à la fois joué ainsi et tant aimé ? J’ai été fâché de ne pouvoir l’aimer, même après avoir appris ce que sa mère avait fait.

« Je me souviens que j’ai commencé un livre le jour même. Quelle insensibilité ! Si elle avait été Grâce, je ne me serais jamais remis à écrire. Grâce, c’est la fin. Après il n’y a plus à aimer. Mon père me dit que je travaille trop et que je vieillis prématurément. C’est quelque chose qui use la vie jusqu’au cœur.