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montées, il avait encore eu un vague et inconscient soupçon qu’il ne pouvait rien faire de bon sans l’encouragement journalier et la critique infaillible auxquels Constance l’avait habitué lors de ses premiers efforts. Dès qu’il fut bien lancé, il se sentit fier d’être en état de travailler sans elle. Pour la première fois, il n’avait à compter que sur son propre jugement, comme il avait toujours compté sur ses propres idées, et son jugement décida que son travail était bon.

Dans ces conditions, la vie lui parut alors supportable et souvent pleine d’agrément. Peu à peu, à mesure que son attention s’absorbait en des créations imaginaires, le visage de Constance Fearing apparaissait moins souvent dans ses rêves et les notes mélancoliques de sa voix ne résonnaient plus continuellement à ses oreilles. Il n’oubliait pas, mais les impressions allaient en s’amoindrissant rapidement. Quelques mois après, quand le livre qu’il écrivait alors eut été publié, ce fut une surprise nouvelle pour ses lecteurs. Ses premiers essais avaient été remarquables pour leur beauté naturelle, son dernier roman était un chef-d’œuvre d’art « vécu ».

Pendant ce temps-là, et à son insu, son intimité avec Mamie allait croissant. Durant les nombreuses heures de la journée où il n’avait pas d’occupation fixe, il était presque constamment avec elle et leur conversation ne s’interrompait chaque soir que pour recommencer l’après-midi suivante, quand, après avoir achevé son travail, il sortait de sa chambre pour chercher un peu de délassement. Il n’avait jamais trouvé d’explication à l’embarras qu’elle avait manifesté le jour de la promenade en bateau sur l’Hudson, et depuis quelque temps il avait renoncé à en chercher une. Son