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SOUVENIRS

« Heureusement l’étonnement, la joie suspendirent un moment toutes mes facultés, sans quoi je n’aurais pu m’empêcher de parler à cet homme, et peut-être de tomber à ses pieds ; mais lorsque je pus voir quelque chose, je ne le vis plus : ainsi je n’eus pas de peine à contenir l’expression de ma reconnaissance. La certitude que Pauline était en sûreté me remplit d’un nouveau courage et me sentant sauvée dans une aussi chère partie de moi-même, il me sembla que je n’avais plus rien à craindre pour l’autre.

« Je commençai à faire quelques questions aux gens qui étaient auprès de moi ; ils y répondirent et m’en firent aussi à leur tour ; ils me demandèrent d’abord mon nom, que je leur appris ; alors ils me dirent qu’ils avaient entendu parler de moi, et que je n’avais pas une très mauvaise réputation ; mais que j’avais accompagné le Roi lorsqu’il avait voulu fuir du royaume ; que cette action était inexcusable, et qu’ils ne concevaient pas comment j’avais pu la faire. Je leur répondis que je n’en avais cependant pas le moindre remords, parce que je n’avais fait que mon devoir. Je leur demandai s’ils ne croyaient pas qu’on devait être fidèle à son serment ; ils me répondirent tous qu’il fallait plutôt mourir que d’y manquer. Eh bien ! leur dis-je, j’ai pensé comme vous, et voilà pourtant ce que vous blâmez. J’étais gouvernante de Monsieur le Dauphin, j’avais juré sur le Saint Évangile entre les mains du Roi, de ne pas le quitter, et je l’ai suivi dans ce voyage, comme je l’aurais suivi partout ailleurs, quoi qu’il