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SOUVENIRS

Lamballe. Quant à ma Mère, elle montrait cet admirable courage que vous lui avez vu dans de tristes circonstances de sa vie[1], ce courage qui, n’ôtant rien à sa sensibilité, laisse cependant à son âme toute la tranquillité nécessaire pour que son esprit puisse lui être d’usage. Elle travaillait, elle lisait, elle causait d’une manière aussi calme, que si elle n’eût rien craint ; elle paraissait affligée, mais ne semblait pas même inquiète.

« Nous étions depuis près de quinze jours dans ce triste séjour, lorsqu’une nuit, vers une heure du matin, étant toutes trois couchées et endormies comme on dort dans une telle prison, de ce sommeil qui laisse encore de la place à l’inquiétude, nous entendîmes tirer les verroux de notre porte ; elle s’ouvrit, un homme parut et me dit : Mlle  de Tourzel, levez-vous promptement et suivez-moi. Je tremblais et ne répondais ni ne remuais. — Que voulez-vous faire de ma fille, dit ma Mère à cet homme ? — Que vous importe ? répondit-il, d’une manière qui me parut bien dure ; il faut qu’elle se lèvre et qu’elle me suive. — Levez-vous, Pauline, me dit ma mère et suivez-le, il n’y a rien à faire ici que d’obéir. Je me levai lentement, et cet homme restait toujours dans la chambre ; dépêchez-vous, dit-il deux ou trois fois ; dépêchez-vous, Pauline, me dit aussi ma Mère.

« J’étais habillée, mais je n’avais pas changé de place ; j’allai à son lit et je pris sa main ; mais

  1. Le Marquis de Tourzel, Grand Prévôt de l’hôtel du Roi, avait été tué par accident à la chasse.