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SOUVENIRS

obtint le jour de son début au barreau de Paris, et voici ce que j’en ai retrouvé dans mes notes.

« Avant-hier, mercredi 4 août, un gentilhomme de Guyenne, appelé M. de Sèze a débuté comme avocat devant le Châtelet de Paris ; c’était dans une cause absolument dénuée d’intérêt, et pour un partage entre les héritiers du philosophe Helvétius. Il a plaidé pour Mme d’Andlaw avec un éclat sans exemple, et pendant son plaidoyer, qui a duré plus de cinq quarts d’heure, on a remarqué qu’il n’avait pas été besoin de faire crier silence par les huissiers, si ce n’est une seule fois, où le public avait fait entendre un murmure approbateur. Il a trouvé moyen de mêler du pathétique à la sécheresse de cette discussion ; les juges avaient les yeux arrêtés et fixés sur ce jeune orateur avec une expression d’étonnement et de considération singulière ; enfin l’auditoire et le jeune barreau ont fini par l’applaudir, ainsi qu’on le fait au théâtre, à plusieurs reprises, avec transport, et sans que les magistrats aient entrepris de réprimer un pareil mouvement, ce qui témoigne assez quelle était leur émotion. »

« Le jeune de Sèze a gagné sa cause, et lorsque M. le Lieutenant civil, (c’était le vénérable Angran d’Alleray) a eu prononcé le jugement, il a dit, avant de se rasseoir et tenant son bonnet galonné. dans sa vieille main : — Maître de Sèze, n’avez-vous pas une autre cause à plaider ?

« Le jeune avocat, étonné de la demande inusitée de ce magistrat, a répondu : — Non, Messire ; et dans toute la salle on a paru très-surpris de cette apostrophe de M. d’Alleray.