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qu’elle a pris cette habitude de dormir sur un fauteuil, habitude où l’on veut absolument trouver une sorte de manie, mais dont je ne saurais certainement la désapprouver !

Je l’ai trouvée bien établie dans un grand appartement de l’hôtel de Lorges, rue de Sèvres, et nous nous sommes revues avec un attendrissement bien partagé. Elle en a éprouvé tant d’émotion qu’elle en est restée saisie, ses mains dans les miennes, et sans pouvoir me parler, en me regardant avec les larmes aux yeux pendant sept à huit minutes. Elle ne m’a paru ni très changée ni beaucoup vieillie. Elle a consacré sa coiffure et ses habits à la mode de 89. Elle se tient dans un boudoir tout en glaces au bout d’un salon doré, lequel est tendu de cramoisi frangé d’or, absolument comme avant la révolution. — Vous êtes restée bien magnifique ! — Je vis de mes provisions : est-ce que j’aurais la contrariété d’apprendre que vous eussiez acheté des meubles en bois d’acajou ? — Ne craignez donc pas, et ne me connaissez-vous point ? l’acajou me paraît si froid et si sombre qu’il m’attriste à voir, et je crois qu’il m’enrhume ? Enfin des niaiseries, des vieilleries, de bonnes petites causeries de l’ancien temps, comme des pensionnaires qui se retrouvent ; et puis, comme vous pensez bien, de lamentables paroles et des souvenirs déchirans sur la destinée de nos princes, et la perte de nos amis !

Elle m’a dit que la Vsse de Beauharnois était devenue l’intime amie de Mme Tallien, et qu’elle avait épousé le général Buonaparté, ce qui lui faisait bien de la peine à cause des enfans du Vicomte, son ne-