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SOUVENIRS DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

sanguinaire et par un ardeur de nuire inexplicable, à moins qu’elle ne fût inspirée par la furie du régicide et de l’impiété, cet homme s’est mis à poursuivre la voiture du Roi jusqu’à Varennes : il y secoue pendant la nuit les torches de la rébellion, et les habitans, qui s’éveillent à ses cris, s’élancent à demi-nus sur le pavé de cette infame bourgade. On les aurait pris pour des spectres ou des messagers de l’enfer ; les uns portant des fourches, comme le génie de la révolte et les démons séditieux du poète ; les autres armés de faulx comme des ministre de la mort. On arrête la voiture du Roi, et le tocsin rassemble autour de lui dix mille forcenés. Retenu dans une chambre de l’auberge avec sa famille, il attend et finit par y recevoir un décret de l’Assemblée législative qui commandait aux citoyens, aux militaires, aux magistrats et autres sujets du Roi, de s’opposer à son départ. « Il n’y a plus de Roi en France ! » répondit le martyr à l’envoyé de Lafayette ; ensuite il posa l’insolent décret sur une couchette grossière le Dauphin sommeillait paisiblement à côté de sa sœur. La Reine, qui restait assise et qui veillait auprès de ses enfants, jette un regard assuré sur ces prétendus mandataires du peuple, et prenant le message de l’Assemblée qu’elle laisse tomber à ses pieds : « Je ne veux pas, dit-elle, que cet indigne écrit souille la couche de mon fils ! »

Qui pourrait exprimer la dignité, la délicatesse et la bonté d’un maître si généreux ? Qui pourra déplorer avec assez de larmes l’effroi, les tourmens et les afflictions de cette femme toute royale ? Au