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SOUVENIRS

le maître d’hôtel vient dire à la Princesse qu’on les avait placés devant M. le Comte de Cossé, qui n’en a pas laissé du tout. Mme  de Guémenée soulève son assiette, et voit sur le menu du souper qu’il devait s’y trouver deux casseroles de petits pois, le maître d’hôtel recommence sa tournée, ensuite il revient dire à sa maîtresse que Mme  de Cossé a mangé les autres à elle toute seule : de sorte qu’ils avaient englouti pour six cents francs de petits pois, entre eux deux, sans compter les truffes blanches de Turin, dont ils avaient fait, comme on dit; corbillon-vide[1].

Une inconcevable folie de ce temps-là, c’était la manière de nourrir ses enfans. D’abord on commençait par les allaiter soi-même ; on n’avait que du mauvais lait à leur donner, et même on n’en avait pas du tout ; mais c’était égal : — à la Jean-Jacques ! Vous pensez bien que tous les enfans de ce temps-là n’étaient pas assez résolument constitués pour résister à une nourriture insuffisante ou de qualité chétive ; il en mourait les deux tiers à la mamelle, et le surplus n’en échappait que pour aller mourir d’étisie après dix-huit ou vingt années de souffrance continuelle et de consomption. Mesdames de Rieux, d’Estain, de Lusignan et de Gouffier, s’étaient

  1. M. le Comte de Cossé-Brissac, Sénateur de l’Empire et membre de la légion d’honneur, avait fini par être chambellan de Mme  Buonaparte la mère, qui ne l’appelait et ne parlait jamais de lui sans estropier son nom. — Canova, disait-il avec un accent d’irritation très divertissant, Canosa n’est pas digne du nom d’artiste et de statuaire ! Conova n’est qu’un manœuvre. Il a vieilli, Madame Mère ! il a vieilli, Madame !!!