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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

à manger sa tranche de saumon, qu’il renvoie d’un air de résignation sublime.

— Allez vite me chercher l’assiette de M. de Cossé, dit-elle brusquement à son laquais. — Vous savez bien, lui crie-t-elle de l’autre bout de la table, avec un accent d’effroi courroucé, vous savez bien que le docteur Gastaldi vous a prescrit l’usage des toniques !… Des toniques, mon ami, des toniques. — Allez reporter cela à M. de Cossé, et elle lui renvoie ce qu’il avait entrepris de manger sans épice ; mais c’est après avoir eu la précaution d’y semer une forte pincée de gros poivre.

— On n’a jamais été plus bonne et plus sensiblement soigneuse ! Mangez de ces mousserons, Comtesse, lui crie-t-il en jetant sur elle un œil attendri, c’est moi qui vous en prie !… Ils sont au blond de veau, c’est moi qui vous en réponds ! Mangez de ces mousserons, chère et précieuse amie !…

— Qu’est-ce que dit M. de Cossé ? demanda-t-elle, attendu qu’elle est très sourde.

— Je ne vous dirai pas, Madame, je n’ai pas entendu…

— Comment n’écoutez-vous pas ce que dit M. de Cossé ? reprend-elle avec un ton de reproche et d’aigreur.

Je me souviendrai toujours qu’un soir de carnaval, à souper chez Mme  de Guémenée, celle-ci proposa des petits pois à son voisin le Cardinal de Montmorency, Grand-Aumônier de France et grand ami de la bonne chère. — Avec plaisir, dit-il en chaffriolant. On va chercher des petits pois, mais