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SOUVENIRS

carrosse doré, pour y réclamer contre la surtaxe d’une lettre. C’était quelquefois pour une erreur de six liards ; et ce n’était pas du tout qu’il fût un ladre, mais c’est qu’il était un véritable cogne-fétu[1]. M. le Baron, son fils aîné, mettait du rouge et se balançait à l’escarpolette, quoiqu’il approchât de la quarantaine ; enfin, je jeune frère du Baron, M. le Chevalier, qui faisait les délices et l’espoir de la famille, étant un brise-cœur, un matamore, un ramasse-ton-bras, qui avait la beauté, la tournure et la rhétorique d’un tambour-major. Je me souviens qu’il aurait voulu se battre en duel avec Lauzun, parce qu’un jour, étant acharné pour assommer un pauvre chien qui l’avait éclaboussé dans la rue de Grenelle, en face de chez moi, Lauzun lui dit, en passant, avec un air emphatique et passionné, ces vers de Didon :

« Tu suças, en naissant, le lait d’une tigresse
« Non, cruel, tu n’es point le fils d’une déesse !

Il arriva qu’un jour chacun se demanda pourquoi tout Paris avait reçu des invitations pour une grande soirée chez la Marquise de Villiers ? C’était pour entendre de la musique, et tout le monde y fut avec la persuasion que ce serait une étrange affaire. On apprit en arrivant qu’il était question d’un concert vocal

  1. Brandelis-Armand Jacques de Villiers, des Sires de l’Ile-Adam, Marquis de Saint-Georges et premier Châtelain de Gâtinais, commandeur des Ordres de N.-D. du Mont-Carmel et Saint-Lazare, etc., mort à Coblënts en 1791.
    (Note de l’Aut.)